KIENTHAL (CONFÉRENCE DE)

KIENTHAL (CONFÉRENCE DE)
KIENTHAL (CONFÉRENCE DE)

KIENTHAL CONFÉRENCE DE (1916)

La première conférence des socialistes opposés à la guerre s’était tenue à Zimmerwald, en septembre 1915. Malgré l’opposition de la direction de l’Internationale socialiste et des partis socialistes ralliés à la politique d’union sacrée, malgré la censure des gouvernements engagés dans le conflit, elle connaît un retentissement considérable; en Allemagne, en décembre 1915, vingt députés sociaux-démocrates votent contre les crédits de guerre, vingt-quatre autres s’abstiennent. En France, l’opposition à la guerre se regroupe au sein du Comité pour la reprise des relations internationales. Par ailleurs, à Zimmerwald les délégués avaient décidé la création d’une commission socialiste internationale (deux délégués suisses, deux italiens), chargée de la propagande et de la coordination. Celle-ci, au début de 1916, annonce l’adhésion au Manifeste de Zimmerwald de vingt-huit partis socialistes (non comprises les minorités de France, d’Allemagne, etc.); mais elle souligne la nécessité d’élargir ses pouvoirs politiques, et propose de s’adjoindre trois délégués par organisation adhérente. La première réunion de la commission élargie a lieu du 5 au 8 février 1916. L’absence de nombreux délégués ne lui donne qu’un pouvoir consultatif, mais elle décide la convocation d’une nouvelle conférence plénière à Kienthal, près de Berne.

Celle-ci s’ouvre dans une auberge, le 24 avril. Quarante-quatre délégués sont présents, représentant l’Allemagne, l’Italie, la Russie, la Pologne, la Serbie, le Portugal, la Suisse et l’Internationale socialiste des jeunes. La France n’a pu, comme à Zimmerwald, être représentée: le gouvernement a refusé les passeports. Cependant, trois députés socialistes français arrivent inopinément; ce sont Brizon, Blanc et Raffin-Dugens qui affirment venir en tant qu’observateurs non mandatés. L’opposition socialiste française à la guerre a fait parvenir à la conférence un projet de manifeste, signé par deux revues, La Vie ouvrière de Pierre Monatte et Našé Slovo , organe de l’émigration russe en France, animé par Léon Trotski. L’Angleterre est également absente pour les mêmes raisons, mais envoie un télégramme de soutien. Deux grands débats ont lieu, autour de la question nationale et de l’attitude à observer face au bureau socialiste international (exécutif de l’Internationale socialiste).

La question nationale recouvre le vieux débat qui oppose Rosa Luxemburg à Lénine. Il est relancé à la conférence par le seul représentant de la gauche allemande qui ait pu franchir la frontière: il affirme que si les revendications nationales existent, mettre l’accent sur elles revient à masquer la lutte des classes. Lénine, qui affirme le «droit à l’autodétermination jusqu’à la séparation totale» pour les minorités nationales, accepte un compromis sur la lutte nécessaire contre toute oppression, attitude qui revient en fait à repousser le débat. Plus profonde et plus pressante est la question de la réactivation du bureau socialiste international par son secrétaire, Camille Huysmans. Ce dernier, qui a su rester assez réservé à l’égard de l’union sacrée, juge qu’il est temps de réanimer l’Internationale, tant à cause des mouvements contre la guerre, qui apparaissent dans les pays belligérants, que contre l’influence grandissante de la première conférence de Zimmerwald. La tactique de Huysmans est simple: rallier les opposants pacifistes à la guerre, sans rompre avec les socialistes «patriotes». Ce faisant, il trouve un écho réel chez les «droitiers» de Zimmerwald qui ne voient dans la conférence qu’un moyen de pression sur la direction de l’Internationale et refusent toute scission. Ils estiment que les dirigeants sociaux-démocrates se sont «trompés» en août 1914, qu’il faut les ramener à la raison, qu’il est d’ailleurs possible de conquérir la majorité au sein de l’Internationale. À l’opposé, avec Lénine et Trotski, la «gauche zimmerwaldienne» dénonce l’Internationale comme traître au socialisme et considère la conférence de Kienthal comme un pas vers la création d’une troisième internationale ouvrière, véritablement révolutionnaire. Pour la gauche, août 1914 est plus qu’un accident: le régime capitaliste est entré dans une ère de crise qui rend la révolution prolétarienne nécessaire pour le mouvement ouvrier. Il s’agit de réaliser qu’une grande partie de ses dirigeants a rallié le camp de la bourgeoisie, et ce bien avant 1914.

Une fois encore, la conférence aboutit à un compromis, mais incontestablement la gauche, si minoritaire à Zimmerwald, s’est considérablement élargie. Les pacifistes sont divisés par leur position; d’une part, ils réclament la réunion du bureau socialiste international, d’autre part, ils dénoncent les «social-nationalistes». Avant de se séparer, la conférence vote à l’unanimité un manifeste (rédigé par Brizon) qui vise surtout à satisfaire les Français.

En clarifiant les divergences entre pacifistes et révolutionnaires, la conférence de Kienthal porte en elle l’Internationale communiste, mais trois ans de guerre et une révolution l’en séparent.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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